- MASUDI (AL-)
- MASUDI (AL-)MAS‘ 樓D 壟 AL- (900 env.-env. 956)Encyclopédiste et polygraphe du Xe siècle, le représentant parfait, à son époque, du système culturel (adab ) visant à donner à un public cultivé mais non spécialisé la somme des connaissances jugées composer le savoir.Né à Bagdad, il consacre sa vie à voyager et à écrire: on le trouve en Perse en 915, puis sur les navires de l’océan Indien, sur les côtes de l’Afrique orientale, dans les parages méridionaux de la mer Caspienne, en Palestine, aux confins syro-anatoliens, en Irak et, en 945, à Damas. Il mourra au Caire. Dans une existence aussi mobile et sans doute relativement brève, le moindre sujet d’étonnement n’est pas l’incroyable ampleur de l’œuvre écrite: entre trente et quarante ouvrages. Pour la postérité, Mas‘ d 稜 reste l’auteur d’une encyclopédie qu’il semble avoir poursuivie jusqu’à la veille même de sa mort: une Histoire universelle (Akhb r az-zam n ) en trente volumes, revue et réduite dans le Livre moyen (Kit b al-awsat ), puis reprise encore dans les Prairies d’or (Mur dj adhdhahab ), enfin rassemblée dans le volume unique du Livre de l’avertissement et de la révision (Kit b at-tanb 稜h wa l-ishr f ). Seules les deux dernières formes de cette encyclopédie nous ont été conservées (Prairies , 1861-1877, nouvelle édition en 1962; Avertissement , 1894 et 1896).L’ensemble de l’œuvre de Mas‘ d 稜, si l’on en juge par ces deux livres et par les titres des autres ouvrages, se partage entre l’encyclopédisme et la littérature politico-religieuse. D’inspiration fondamentalement sh 稜‘ite elle a sans doute visé à faire passer dans le public éclairé de son temps les thèmes politiques, historiques et religieux d’une option sh 稜‘ite, au reste sans fanatisme, qui semble avoir été le trait essentiel de cette vie. Ainsi s’expliquerait notamment le souci de rendre l’œuvre, par des réductions successives, plus maniable et plus accessible au lecteur. Ainsi s’expliqueraient aussi, peut-être, ces voyages que le simple souci d’information ne suffit pas à justifier. Au moins Mas‘ d 稜 a-t-il été un sympathisant, peut-être un émissaire, des idées sh 稜‘ites et plus précisément ismaéliennes. Ce serait, en tout cas, un étrange hasard que celui qui lui fait recouper, par ses voyages, la carte de l’ismaélisme, en quelques-uns de ses bastions et au moment précis de quelques-unes de ses actions les plus spectaculaires.Il convient donc d’être prudent lorsqu’on parle, à propos de l’encyclopédie mas‘ dienne, de culture générale. Générale sans doute, mais peut-être pas désintéressée. Cela posé, on relèvera les traits saillants de l’auteur et de l’œuvre: une réelle érudition, s’étendant non seulement au domaine musulman, mais aux civilisations «étrangères»: christianisme, Iran, judaïsme entre autres; un souci louable de confronter les données livresques à l’observation directe; une langue sans apprêt, tout entière dévouée à son esprit, soucieuse seulement d’exposer avec clarté; enfin, un sens très net de la vulgarisation dans le goût de l’adab, en touchant au plus grand nombre de sujets possible, mais en répudiant toute technicité: rien sur les disciplines qui requièrent des connaissances spécialisées comme le droit, l’agronomie, la géographie mathématique ou la philosophie au sens strict.L’ensemble de l’encyclopédie mas‘ dienne tourne autour de l’histoire. Le plan de l’œuvre, que l’on retrouve dans les Prairies et l’Avertissement , fait place, en réalité, à deux histoires: celle d’avant l’islam et celle de l’islam. La première couvre trois parties: histoire de la création (englobant elle-même l’histoire biblique et la présentation d’ensemble de la terre), histoire et ethnographie des peuples non arabes et des Arabes païens, enfin notions historiques générales (archéologie et calendriers). La distribution quantitative recoupe les données du plan: l’histoire de l’islam, jusqu’à l’époque où écrit Mas‘ d 稜, occupe un volume au moins égal au reste de l’œuvre. Cette histoire musulmane se confond avec celle de la famille ‘alide, parallèle à l’histoire officielle du califat de Damas, puis de Bagdad. Ni ce schéma d’une histoire universelle totale sublimée dans l’islam, qui en est l’événement majeur, ni même les tendances sh 稜‘ites de cette histoire ne sont propres à Mas‘ d 稜. Son originalité, c’est d’avoir, autant qu’il lui était possible, fait entrer dans le cadre de l’histoire toute une encyclopédie: sans doute celle-ci ne représente-t-elle qu’une mince proportion de l’ensemble mais, dans l’absolu, son volume est considérable.Il en va de même de la géographie mas‘ dienne: réduite à la présentation de la Terre, elle n’arrive qu’à environ un neuvième de l’ensemble des données rassemblées sous la rubrique de l’histoire générale, celle d’avant l’islam. Il n’empêche que l’exposé sur la Terre, ses mers, fleuves et îles, sur sa répartition en climats, sur les influences astrales qu’elle subit, constitue un ensemble de données non négligeables. Si l’on y joint les passages relatifs aux peuples étrangers, on arrive ainsi à plusieurs chapitres.Resterait à débattre des rapports mêmes de la géographie et de l’histoire dans cette œuvre. La balance pèse, et de très loin, en faveur de la seconde. Mais c’est la raison même de la présence de la géographie qui demande à être examinée. A priori, la démarche de Mas‘ d 稜, qui entend enfermer la géographie dans une trame tissée par l’histoire, est exactement l’inverse de celle d’Ibn al-Faq 稜h, lequel entend ranger l’histoire dans le cadre géographique de pays pris un à un. En réalité, les deux entreprises diffèrent sur un point: alors qu’il est facile à Ibn al Faq 稜h, dans le cadre d’un découpage géographique, de citer tout ce qui se rapporte à un lieu choisi, y compris l’histoire, ou plutôt les événements qui s’y sont déroulés, à l’inverse il était infiniment plus difficile à Mas‘ d 稜, à supposer qu’il l’eût voulu, de briser la continuité requise par sa méthode d’exposition en y insérant, à chaque instant, des considérations géographiques relatives aux lieux où se déroulait l’histoire. D’où le recours exclusif à une géographie générale qui figurera dans l’introduction: histoire et géographie sont donc ici simplement juxtaposées, dans un rapport de forces tout à fait inégal, et elles n’entretiennent plus entre elles cette relation vivante et continue qui fait le prix de l’œuvre d’Ibn al-Faq 稜h. Encore celui-ci pouvait-il se permettre, en outre, de traiter lui aussi, dans ses premières pages, de géographie générale: quoi de plus normal pour introduire à la géographie particulière des pays? Chez Mas‘ d 稜 au contraire, cette même géographie générale, seule traitée, ne réussit pas à faire la preuve du lien organique qui la relierait à l’ensemble, fût-ce par le biais des thèmes de la création. Sa présence ici tient en définitive au fait que ses données sont considérées, à l’époque de Mas‘ d 稜, comme faisant partie du bagage intellectuel de tout esprit cultivé, et qu’une encyclopédie, de facture historique ou autre, se doit de leur faire une place.
Encyclopédie Universelle. 2012.